Publié le 4 avril 2004 - Il faut tout de même se souvenir d'où nous venons.
Il y a un an, Georges Frêche n'est plus le triomphant imperator montpelliérain dont vingt-six ans de pouvoir municipal ont assis l'image. Le cauchemardesque 21 avril lui a coûté son siège de
député ; Jacques Domergue, brillant chirurgien, jeune loup dont Jacques Blanc lui-même a aiguisé les dents, l'a terrassé. De 200 voix certes mais terrassé quand même. Clameur dans le landernau
: la droite tient enfin son héraut, son héros. Elle le sent, elle le croit : ce n'est plus qu'une question de temps avant que la statue, enfin, ne soit déboulonnée. Au royaume de Frêchie, ils
sont d'ailleurs quelques-uns à dire la même chose. Oh, tout bas, sotto voce : on n'est jamais trop prudent. Mais enfin,
entend-on dans l'entourage, peut-être faudrait-il qu'à 65 ans et cinq mandats Georges envisage de passer la main.
D'ailleurs n'est-il pas fatigué, grossi, susurrent les plus aimables...
N'a-t-il pas fait son temps, murmurent en écho les plus expéditifs.
«Usé, vieilli» en somme. Mais on sait quel talisman, pour qui la reçoit, il y a dans la formule... Car certes, le maire de Montpellier en ce début d'année 2003 n'est pas au mieux de sa
forme. Il tire la patte, a l'irritation facile et a d'ailleurs de quoi s'irriter : la droite a adopté la tactique de ces chasseurs africains qui pour rendre fou un éléphant et le précipiter vers
sa perte lui décochent des sagaies dans chaque bout de gras : en clair elle multiplie les provocations auxquelles Georges Frêche résiste mal ; plus grave, Jacques Blanc, grâce à un amendement
voté tout exprès au Sénat, a réussi à lui racornir son agglomération... Bref, rien ne va. Et puis, en avril 2003, paraît le livre que le 21 avril a inspiré au maire de Montpellier : Les éléphants
se trompent énormément. Il y pourfend la gauche bo-bo, l'énarchie, règle ses comptes avec le PS mais là n'est pas l'important. C'est en effet de ce moment qu'un proche - anonyme, il y en aura
beaucoup dans ce récit - date le début de la rédemption de Georges Frêche.
Voilà en effet en ce printemps le maire de Montpellier à la rencontre de ses lecteurs et pas seulement de ses électeurs. Il signe, tient conférence, discute et, dit ce familier, redécouvre une
valeur simple : un dialogue apaisé avec des gens qui ne sont ni des adversaires ni des obligés. L'accueil fait au livre et à son auteur entre alors en résonance avec ce que son entourage public,
privé, lui dit depuis des mois : il lui faut lisser son image, abandonner la hache d'abordage, écouter...
«Il a commencé à se rendre compte que ça marchait» , dit ce proche. Alors, autour de ce nouveau Frêche naissant, s'est resserré le cercle de famille : Claudine, l'épouse, a allégé les
menus. Résultat 17 kilos perdus.
La fille Julie, 23 ans, inscrite en DEA de sciences politiques à Paris, est devenue un mentor très vigilant. Des vacances d'été au vert d'Irlande ont parachevé la mise en forme : à la rentrée
2003, le Frêche nouveau, aminci, apaisé, était né.
Coup de chance supplémentaire : en face, Jacques Blanc a mis du temps à s'apercevoir de la métamorphose, à réaliser que désormais les sagaies rebondissaient sur le cuir de l'éléphant. Désormais,
c'est lui qui passe pour l'agressif. Et, dommage collatéral non négligeable, Jacques Domergue avec lui. Comme le dit Paul Alliès, conseiller régional socialiste sortant :
«La fixation
obsessionnelle avait changé de camp. Je me souviens d'une commission permanente où Blanc a prononcé 52 fois le nom de Frêche. Pendant ce temps Frêche ne parlait plus de Blanc.» Les deux
machines, celle à gagner, celle à perdre, étaient en marche, chacune suivant sa course contraire.
Aujourd'hui, malgré l'auréole du triomphe, les très proches du nouveau président de Région répugnent à parler de cette mue :
«On pourrait croire que c'est quelque chose de fabriqué», dit
ainsi Sylvain Jambon, tout puissant directeur de la communication. Fabriqué ? C'est bien la question. Que cercle familial, cercle politique, amis aient, par tactique, poussé Georges Frêche à
endosser ce costume, personne n'en doute. Mais s'il a fini par lui aller si bien, c'est que, quelque part, cette sensibilité, cette - oui, oui - gentillesse sont
«une part de lui». C'est
un ami de trente ans, authentique, estampillé, fidèle et familier du couple Frêche, qui le dit. Car ils sont ainsi quelques-uns à Montpellier à voir chez le maire une timide violette cachée,
façon Brassens, sous la - parfois - peau de vache. Un vieux partenaire politique, le Vert Yves Pietrasanta, est d'ailleurs de cet avis :
«C'est un homme loyal. Ce que vous voyez aujourd'hui
c'est son vrai caractère. Sous le matamore, c'est un homme qui a le sens de l'amitié.» Va pour le vrai caractère. Il n'en reste pas moins que tout au long de la campagne, la garde est tenue
serrée : Christian Assaf, le chef de cabinet, Sylvain Jambon, ancien journaliste à L'Hérault du Jour, devenu si frêchiste que toute la mairie le brocardait lors de son arrivée sous le surnom de
"Papa m'a dit", font un écran qu'on ne franchit pas aisément. Le cabinet de communication Anatome, qui a conçu une campagne à l'unisson, sobre, rurale, presque modeste, ferme le cercle. Même la
vieille garde montpelliéraine a du mal à approcher le maire-candidat dont la rondeur nouvelle a amadoué en une liste unique toute la gauche plurielle et tous les départements si prompts à
s'entre-dévorer.
Quand on le croise, au gré de cette campagne, il a parfois l'oeil qui fulgure, l'ironie au bout de la confidence chuchotée :
«Vous savez bien que tout ça, c'est une opération de marketing à
durée limitée.» Ou encore cette remarque à un vieil adversaire - de gauche mais adversaire quand même - lancée après un discours particulièrement consensuel dans le sourire de celui qui
n'est pas dupe :
«Tu vois, j'ai fini par devenir mitterrandien...» Ou enfin, patelin, cet autoportrait :
«Finalement, c'est pas mal d'être gentil avec tout le monde. Je crois que je
vais rester comme ça.» Ainsi, fabriquée ou non, la carapace fit-elle de l'usage tout au long de la campagne.
A peine si une réunion mal préparée à Mireval fit tomber du ciel une de ces colères jupitériennes qui, naguère, zébraient si fort le ciel municipal. Ecart passager et à peu près unique, qu'on
peut mettre sur le compte de la tension de campagne...
Du tout premier cercle, de la table de famille, reviennent en ce temps-là des échos contradictoires. Certes un familier invité rapporte cette phrase :
«Jusqu'au 29 je suis gentil avec tout le
monde, après je ressors les tronçonneuses.» Mais on a presque le sentiment que c'est là rodomontade d'homme de caractère qui a sa réputation à défendre. La tonalité décrite par cet autre
proche est différente :
«Les colères en famille, qui étaient de la même ampleur qu'à la mairie, sont devenues rares. C'est curieux mais il y a presque une infantilisation du personnage : il
se laisse porter par cet entourage qui amortit tout autour de lui. J'ai un peu l'impression que c'est comme le pari de Pascal, vous savez : faites semblant de croire et bientôt vous croirez. Lui
a fait semblant de croire à ce personnage de gentil et à la fin il l'est devenu.» Et en effet : pas une fois dans cette campagne au long cours, le Frêche des anciens temps ne reparut sous le
nouveau contrairement à Napoléon qui, c'est bien connu, perçait... Il y eut certes une chaude alerte en novembre : l'irrévérencieuse émission de France 3, Strip-tease, qui, ironie, avait déjà
piégé Jacques Blanc, diffusa un soir à la sauvette une séquence du conseil municipal de Montpellier en version casques lourds. Soudain il était là à nouveau, le Frêche ancien, tout feu tout
flammes, coupeur, physiquement, de micros et, métaphoriquement, de têtes. Mais outre que peu de gens virent la séquence, la scène datait de deux ans auparavant et arrivait comme ces lumières
d'étoile venues d'astres peut-être déjà morts. Il n'est pas sûr, du reste, que le candidat n'ait pas retourné la situation à son avantage : il présenta des excuses à qui se sentait offensé et on
mesura plus encore le chemin parcouru. Il semblait bien y avoir une passion sincère, après tant d'années d'urbanisme à grand spectacle, dans cet engouement pour la vigne, l'élevage et les
truffes.
Le reste est l'histoire d'un triomphe. Du débat de France 3 où l'élégiaque Frêche finit dans les couloirs de la station en récitant La nuit de mai de Musset - une bonne centaine de vers quand
même - à la désormais célèbre partie de belote tenue avec les chauffeurs de la mairie quand tombaient les résultats, tout alla souplement, tranquillement presque, adverbes que jamais on n'aurait
accolé il y a un an au maire de Montpellier.
Même l'ivresse du sacre, vendredi au Conseil régional, ne lui fut pas cet alcool qui, parfois, l'emporta vers des extrémités verbales. Il eut la gorge nouée en parlant de sa famille, un mot
presque aimable pour son prédécesseur, se voulut rassurant pour le personnel... Georges fut César, imperator conquérant. Serait-il devenu Marc Aurèle, empereur sage ? C'est pas mal d'être gentil
avec tout le monde. Je crois que je vais rester comme ça Le soir des résultats, après une partie de belote, Georges Frêche apprend sa victoire et donne l'accolade à Sylvain Jambon (à droite).
L'ancien journaliste, devenu "dir'com" du maire de Montpellier il y a un an, a mené la campagne des régionales. Avec un autre proche, le chef de cabinet Christian Assaf, il suit le nouveau
président à l'hôtel de région. ll occupe désormais le poste de directeur de communication.